Les affaires s’enchainent au tribunal correctionnel
La défense et le
parquet s’affrontent sur un rythme effréné
Il est à peine 8h30 au tribunal
correctionnel de Nice, pourtant le
président M. Verron, ses deux assesseurs, la greffière et les avocats de la
défense sont déjà sur le pied de guerre. A voir la pile de dossiers que l’huissier transmet au
président du tribunal on comprend mieux pourquoi… Une longue journée d’audience
s’annonce avec entre autres au programme, des
affaires de carte bancaire volée et de falsification de procès verbal.
L’ambiance est pesante, les policiers armés sont là pour vérifier que rien ne
vienne perturber le travail de l’infernale machine judiciaire. Un silence
religieux règne dans le public. Le prévenu, Jean S. accusé d’avoir volé une
carte bancaire à un de ses amis, s’avance à la barre tout contrit, sous le
regard du président qui lui rappelle son passé judiciaire et les faits qui lui sont reprochés aujourd’hui.
Le président affiche d’emblée la marche à suivre, la situation doit être claire,
le jugement rapide : `« monsieur
expliquez nous ce qui s’est passé ? ». « Je faisais des travaux de plomberie pour le plaignant qui était
mon ami. J’ai attendu qu’il rembourse mes dépenses ce qu’il n’a pas fait.
J’étais en colère, je me suis emportée et j’ai volé sa carte bleue ».
Les questions s’enchainent, le président relève les propos contradictoires du
prévenu: « vous n’avez jamais
mentionné ce non paiement pour les travaux que vous avez effectué chez le
plaignant dans le rapport de police ». Déstabilisé par le président,
il commence à s’embrouiller tandis que les regrets pleuvent. Acquiésement du président, qui balaye les
déclarations du prévenu d’un simple « mouais ». Les
traditionnelles vérifications d’état civil défilent « Etes vous salarié ? Avez-vous des enfants ? Que faites
vous dans la vie ? ».
Un interrogatoire implacable
Rien n’est laissé au hasard, l’interrogatoire doit être le plus clair possible pour que le président puisse éclairer ses motivations en fonction de ce que vit Jean S. Le procureur se lève alors pour entamer sa plaidoirie : les faits sont avérés pour lui, « le prévenu ne comptait pas rembourser le plaignant ». Les autres justiciables présents dans la salle, se tournent les uns vers les autres, échangent des regards inquiets, ce seront eux les prochains à se faire alpaguer par ce procureur à charge jugé « sans pitié »par une personne du public. L’arrivée de son avocate est vécue comme un soulagement pour le prévenu. A défaut de le blanchir, cette dernière plaide les circonstances atténuantes. Son client a des difficultés à s’exprimer : « c’est l’impulsion qui l’a poussé à agir, il s’est limité à retirer 350 euros au total, ce qui correspond aux frais dépensés pour les services qu’il a rendu au plaignant ». Pas le temps de souffler, le prévenu Jean S est invité à s’assoir, le délibéré attendra, on passe aux affaires suivantes. Les dossiers s’enchainent à toute vitesse sur le rythme effréné de la comparution immédiate, la machine judiciaire est bien huilée. Une personne du public s’allonge même sur un banc pour entamer une sieste. C’est sans compter sur la présence des policiers qui surveillent activement la salle. Claque sur la cuisse, le « perturbateur » est jeté dehors sans ménagement. L’arrivée de M. Léger à la barre entouré de policiers vient chambouler ce rythme de croisière. Absent au cours de son premier procès, jugé par défaut, et sous mandat d’arrêt criminel, il purge une peine de 2 ans de prison. Visage dur, regard mauvais, l’homme est à l’aise, c’est devenu un habitué des salles d’audiences. Tenace, il vient refaire une demande de liberté déjà rejetée la semaine dernière : « l’autre fois l’avocat a rien fait du tout, connards ! » s’énerve t-il. La salle endormie se réveille, même les deux assesseurs imperturbables depuis le début des audiences se laissent aller à sourire. La délibération du tribunal est sans appel, la demande de liberté de M.Léger est refusée. Se tournant vers le public, Léger lance, « pourquoi il a refusé ça sert à rien ! Vieux corbeau ! » lance t-il au président sous les rires des avocats et du procureur.
Quand le procureur dérange
L’atmosphère s’est détendue « c’est toujours la faute des avocats » plaisante le représentant du ministère public. Mais il ne faut pas perdre la cadence. Costume, blouson en cuir, tête haute, quatre prévenus s’avancent à la barre. Effet de nombre, ou d’accoutrement, le public a l’impression de se retrouver devant des mafieux Mais à défaut d’avoir la Camorra en face de lui, le président n’a affaire qu’à trois membres de la police municipale jugés pour falsification de timbre amende dans le but de dispenser un retrait de point sur le permis de conduire à un chauffeur de taxi accusé d’usage de faux. Gestuelle, accentuation sur certains mots, questions rhétoriques le procureur pense à tout : « il n’y a pas d’arrangement possible mais une égalité devant la loi.» Il va jusqu’à sortir les chiffres de la répression mis en avant par le chauffeur de taxi qui a sollicité l’aide policière pour ne pas avoir de point en moins sur son permis sous risque de le perdre. « Je ne qualifierai pas ses personnes de mauvaises personnes car ils ne le sont pas », lance le procureur. La salle est interpellée, ses propos semblent contradictoires. Les réquisitions tombent : 1500 d’amendes pour les trois membres de la police et une suppression du permis de conduire du chauffeur de taxi. Pour montrer leur désaccord, les avocats de la défense usent de stratagèmes plutôt drôles : ils toussent pour taire les réquisitions. Pleines de connivence leurs plaidoiries se rejoignent et même toutes en avant les sentiments humains : « peur », « bonté », « humanité »c’est ce qui a motivé les actes de leurs clients parfois regrettables .Une partie de ping-pong commence entre défense et parquet.
Plaidoirie :à chacun sa méthode
Maitre Borghini, avocat de monsieur D. se lance dans une plaidoirie efficace et pleine d’humour rendant tout ouie la salle. Il rappelle que l’enquête du parquet n’a pas révélé qu’il y avait corruption dans cette affaire. Chef sapeur pompier, fiches de notations élogieuses, son client est un homme bon. Maitre Bothi de monsieur M. Avocate félicite son collègue au passage pour son excellente démonstration, « on ne vit pas au pays de oui oui, des intentions il y en a toujours eu »dédramatise t-elle. Pic au procureur, elle fait le parallèle avec une affaire où une proche d’un membre du tribunal aurait été agressé dans un bus et pour qui on aurait fermé les lignes : « je doute que si ça avait été moi par exemple, les dispositions auraient été les mêmes, quand on a le pouvoir, il y a plusieurs vitesses. » Le procureur et le président semblent amusés. A chacun sa technique, tous les moyens sont bons pour convaincre. Maitre Blumenkrenz avocat de Monsieur H. part dans une tirade pleine de métaphore en citant du Cicéron et du latin et prend à parti les étudiants présents dans la salle : « il leur faut la vérité, monsieur le juge ». On se croirait presque au théâtre. Le procureur jusque là serein se fâche avec l’avocat du chauffeur en possession de la pièce originale de la contravention, alors que celle-ci ne lui aurait pas été remise durant l’enquête du parquet. Une tonne de dossier traine encore sur les bureaux, la journée promet d’être longue dans cette ambiance surchauffée.
Romy Luhern