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L'imaginarium de Romy
L'imaginarium de Romy
19 décembre 2009

critique du film Veillées d'armes de Ophuls

Veillées d'armes : histoire du journalisme en temps de guerre

 

En Janvier 1993, Marcel Ophuls décide de se rendre à Sarajevo. La ville assiégée par l'armée serbe est alors en pleine guerre opposant musulmans serbo-croates, croates catholiques et Serbes orthodoxes. Bombardements violents, meurtres sanglants, blessés par milliers, le chaos règne dans la capitale de la Bosnie-Herzégovine. Une bonne raison de donner la parole à ceux qui sont aux premières loges des conflits à savoir, les reporters de guerre. A travers deux voyages Marcel Ophuls enquête à Sarajevo sur le métier particulier et passionnant de ces journalistes qui participent par leurs écrits ou leurs images à la mémoire de l'histoire en s'interrogeant avec eux sur le traitement de l'actualité par les medias et sur l'éthique de la profession. Chaque jour des reporters, des photographes et des cameramen, de toutes les nationalités se côtoient pour couvrir ce conflit et commenter l’actualité en direct. Certains sont moins impliqués que d’autres : on trouve ainsi le présentateur vedette de TF1 Patrick Poivre d’Arvor qui reste 48h sur place pour « montrer qu’il était présent », alors que certains comme John Burns du NY Times sont sur place depuis des mois.

Reporter une profession particulière

De la motivation, du dévouement et de la passion sont nécessaires quand on s’expose aux risques. Martine Laroche Joubert, reporter, en témoigne ce sont « les poussées d’adrénaline » qui conduisent les correspondants de guerre à arpenter chaque jour le terrain. Et même si ils « s’obligent » à reprendre une vie quotidienne normale, « l’appel de revenir » est toujours le plus fort. En véritables témoins de l’histoire, les reporter sont avant tout curieux comme le dit John Burns ils ne « s’amusent pas de voir mourir des gens mais ce sont des expériences qu’ils ne voudraient pas manquer ». La curiosité c’est le critère fondamental du métier de correspondant de guerre. A partir du moment où il se désintéresse de ce qu’il fait, il arrête d’aller sur les terrains de conflits. Martha Gelhorn, le dit bien : « ce qu’il y a de pire dans une guerre c’est l’ennui, le correspondant de guerre part là où il ya de l’action ». Mais rien ne leur est imposé, cette profession se pratique sur la base du volontariat, ce sont même eux qui « poussent souvent leurs rédactions à partir » d’après Patrice du Tertre reporter cameraman à France2.  Le reporter de guerre est lucide, il va tomber dans des situations dramatiques. Les conditions de travail sont difficiles entre le froid, les coupures de courant, les bombardements à tous les coins de rue. Comme les habitants, les journalistes risquent gros, sont blessés ou tués. La mort fait partie de leur quotidien car ils se trouvent en première ligne des événements. Si on en croit Patrice Chauvel, les photographes  seraient de la « piétaille », de la chair à canon en étant les premiers visés sur le champ de bataille. Nigel Bateson cameraman de la  BBC apporte le même constat, les cameramen seraient aussi « les premier visés »par les balles des snippers à Sarajevo, car ils ne voient pas la balle arriver alors que le rédacteur le peut lui. Les correspondants de guerre craignent pour leur vie certes mais mieux vaut « faire abstraction du danger » conseille John Simpson, directeur du service étranger de la BBC et privilégier  « l’ humour pour oublier réalité de la vie ». Cependant, les hommes se différencient cependant par leur capacité à maitriser leur peur. Certains tiennent moins le coup et préfèrent s’en aller pour ne pas revenir tout de suite, comme la journaliste U. Meissneir devenue « si nerveuse qu’elle sursaute au moindre bruit ». Pourtant ils sont peu à partir. Atteints du « Syndrome de Sarajevo », ils reviennent, car ils « oeuvrent pour le bien commun » selon John Burns. Mais en plus des dangers du terrain, il y a les risques de manipulation, de mauvaise utilisation de leur travail par les rédactions, liées à l’audimat et au sensationnel. Pour Philippe Noiret le « journal télé est un miroir effrayant de notre époque. Pourquoi montrer des gens dans la détresse ? » Or le public comprend ce qu’on lui donne à comprendre, les correspondants de guerre par leur travail peuvent l’influencer. Philip Knightley, historien dresse justement un portrait des « journalistes de déjeuners » biens sous tout rapport avec les plus hauts placés du gouvernement et qui influent sur la réaction du public. Les discours de certains présentateurs vedettes fortement médiatisés comme PPDA, qui dit privilégier la « modestie », auront une plus  forte emprise sur le public que le discours d’un envoyé spéciale moins médiatisée mais qui risque sa vie pourtant chaque jour pour informer. Les reporters sont ainsi au cœur de l’action pour montrer la réalité telle qu’elle est en faisant mentir l’adage « la première victime de la guerre c’est la vérité ». Les reporters purs et durs ne masquent pas la vérité et n’hésitent pas à dire que Sarajevo n’est pas une guerre ethnique, mais que ce terme est utilisé par les dirigeants serbes eux-mêmes. Certains  moins scrupuleux trafiquent les images comme l’avait fait PPDA avec l’interview truquée de Castro. En plus d’être honnête, le reporter ne doit pas être dupe de la langue de bois que pratiquent les dirigeants : « ce sont des gens raffinés à tous les égards, citant du Shakespeare mais qui sont alliés à des égorgeurs », résume John Burns. Les reporters de guerre doivent donc se méfier des politiques mais surtout de l’armée. Philipp Knightley, explique que « l’armée peut écarter les journalistes tout en les contrôlant avec des pools système », des sortes de groupes de journalistes triés sur le volet pour couvrir un événement. Il arrive également que les reporters se retrouvent sur de faux théâtres d’opération…Lutter contre la censure de toute sorte et pour la vérité, sont les mots d’ordre du correspondant de guerre. Ces hommes et ces femmes qui marquent l’Histoire par leur travail, doivent livrer une bataille de tous les instants, car comme le dit Patrice du Tertre « on réussit son passage dans une guerre quand on sort un symbole ».

L’image, une preuve non absolue

En plus d’analyser le métier de reporter de guerre, Marcel Ophuls, place l’image au centre de sa réflexion. Passé et présent, fiction et réalité, se juxtaposent tout au long du film. Le cinéaste réutilise des images d’ archives d’actualité et de fiction pour créer des associations d’idées  qui font écho  aux propos tenus par les journalistes. Ophuls veut que les archives servent son propos au sujet de l’Histoire qui ne fait que se répéter, les hommes rejouant sans cesse la même partition en oubliant de tirer leçon des images du passé. Que retient-on des images de ceux qui les réalisent? Pas grand-chose, si on tient compte des propos de Philippe Noiret qui au début du film fait à juste titre remarquer que la « Yougoslavie est en train de vivre la même chose que le régime de Vichy », quarante ans après. Le spectateur aurait donc la mémoire éphémère. Ce régulier va-et-vient entre images d’actualité et images d’archive peut dans un premier temps le perdre, lui qui s’attend à  trouver une  parfaite cohérence entre les plans. Pourtant ces images ne sont pas mises bout à bout sans suite logique, Marcel Ophuls, s’en sert comme démonstration : une sorte de preuve par l’image. Le cinéaste questionne les journalistes eux-mêmes producteurs d’images sur le sens et l'impact qu’elles peuvent avoir : jusqu’où une image peut-elle nous tromper ? Sont-elles mises en scène ? Le cinéaste revient ainsi avec perspicacité sur une photographie de 1936 « Combattant espagnol au moment de la mort » de Robert Capa en cherchant à savoir si ce dernier aurait retouché sa photo. L’image ne peut en aucun cas constituer une preuve comme beaucoup veulent le croire ou le faire croire, on peut tout lui faire dire.  Tout image ne serait alors que spectacle ? Ophuls réalise ici une critique virulente de l’information spectacle. Une scène est d’ailleurs marquante, on voit un enfant grièvement blessé au visage filmé par une chaine de télé, avec sa mère en train de lui donner à manger et de pleurer : on est dans le voyeurisme pur. Interrogée sur un supposé ralenti d’un unijambiste censé émouvoir, la reporter Martine Laroche Joubert dément cette accusation. Les journalistes sont des gens pleins de « pudeur », « l’homme se déplaçait juste très lentement ». Mais utiliser un ralenti ne reviendrait-il pas à tomber dans l'information-spectacle qui cherche à émouvoir le spectateur dans le but de faire de l'audience ? Or le but d’un reporter digne de ce nom n’est pas celui-ci, mais bien de fabriquer de l'actualité. Le son sert également à faire passer un message. Dans la chanson du générique de fin, interprétée par un médecin interviewé, « Nobody knows the trouble I've seen », le cinéaste ne parle pas uniquement des atrocités que peuvent voir les populations civiles prises dans une guerre mais surtout du fait que  les images ne peuvent elles mêmes suffire : rien ne peut rendre visible la triste réalité d'une guerre. Le spectateur doit constamment interroger l’image sur son sens. Elle n’est que le témoin direct d’une actualité et chaque spectateur peut la lire à sa manière. L’interprétation est ainsi variable et subjective. Ce film questionne aussi le spectateur sur l’inaction des gouvernements qui laissent mourir des milliers de civils sous les balles des snippers sans intervenir et qui les laissent même mourir de faim sans que la population ne se révolte. Le journaliste américain du NY Times John Burns ne cache d’ailleurs pas son pessimisme face à l’indifférence des opinions publiques et à l’attitude des politiques. Une autochtone interrogée vers la fin du film, par le reporter, préfère ainsi laisser la nourriture et l’aide humanitaire à ceux qui en ont plus besoin qu’elle, même avec quatre petits enfants à sa charge. Ce formidable élan de solidarité entre civils a de quoi interloquer. Pas si sur que la même chose se passe aujourd’hui…En plus d’être techniquement réussi, Veillées d’armes pousse véritablement le spectateur à réfléchir sur la mort, le courage, et le traitement de l’information par les médias.  

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