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L'imaginarium de Romy
L'imaginarium de Romy
15 décembre 2009

critique du livre "autoportrait d'un reporter"

Le reportage un mode de vie, une vocation

 

 
 

D

 

ès l’enfance certains ont leur future vocation en tête : ils seront reporters. D’autres à l’âge de sept ans comme Ryznard Kapuściński rêvent de faire carrière dans le football, puis commencent à écrire par hasard, « sans vraiment savoir pourquoi », pour  au final, ne plus jamais arrêter. Avec quarante-cinq années de reportages à travers le monde à son actif, vingt-sept révolutions vécues, et une vingtaine d'années passées au service de l'Agence de presse polonaise PAP en tant que correspondant étranger, Ryszard Kapuściński décédé en 2007 est encore aujourd’hui  considéré comme  l'un des meilleurs observateurs de notre temps par des milliers de reporters à travers le monde. La lecture d’ «Autoportrait d'un reporter» (Pion-2008), publié à partir de collage d’entretiens et de fragments d’interviews, résonne comme une véritable confidence de sa part. Kapuściński dévoile à travers ce livre le bon état d’esprit et la bonne attitude que doit adopter tout reporter à l’étranger.  Conseils avisés, spécificité du métier, réflexion sur le sort de l’humanité et sur l’essor des médias,  celui qui se définit comme un « poète dans l’âme » raconte sa vie comme il l’a vécu entre « passion » et « réflexion », entre « voyages » et «  « goût du risque ».

L’appel du voyage

Malgré quelques répétitions et longueurs, le lecteur récolte dans cet ouvrage de véritables pistes de réflexion sur l’éthique de la profession journalistique. Curieux, jamais rassasié, Kapuściński a vogué de pays en pays, de continent en continent, pour recueillir les futurs événements constitutifs de l’Histoire de demain. En véritable globe trotteur, il sillonnera pendant des années l’Asie, l’Afrique, l’Amérique latine, le Moyen-Orient,  car le reporter a un besoin viscérale de voyager, presque maladif : « quand je reste dans un endroit, pas forcément en Pologne, je suis malade, il faut que je parte loin ». Bien loin d’une sinécure, le voyage du reporter est fatiguant. Souvent, « une barrière logistique, physique ,intellectuelle » se dresse en travers de sa route, la faute à un manque de communication entre cultures. Cette profession est destructive et beaucoup ne tiennent pas le coup. En choisissant ce métier, le reporter doit être lucide : il est probable qu’il tombe dans des « situations dramatiques ». La résistance, Kapuściński la connait, lui. D’après ses dires, il était le dernier reporter ayant commencé dans les années 60 à  toujours exercer sur le terrain. Les autres seraient aujourd’hui des gens « installés » directeur de radio ou de chaines télévisées. A méditer…Mais il est vrai que le reporter travaille seul, afin de bénéficier de la meilleure concentration possible pour suivre ce monde « en perpétuelle mutation ». Il s’immerge dans le quotidien des autres, les observe, et les écoute.

Le reporter doit faire preuve d’empathie

 C’est un homme « humble », et « cultivé » investi d’ une « mission de bien commun». Mais surtout, il doit faire preuve d’un profond sens de l’éthique et ainsi écrire sur les deux facettes  constitutives du monde : l’injustice et la prospérité. Les pauvres ont besoin « qu’on leur prête une voix ».  Kapuściński et son « puissant besoin d'empathie » s’intéresse avant tout aux êtres et à leur vie quotidienne. Certes, pour faire ce travail, il faut aimer les gens mais ici Kapuściński, empiète directement sur les plates bandes du journalisme citoyen à la Albert Londres. Il serait réducteur de dire qu’un bon reporter n’est que celui qui fournit un moyen d’expression à des citoyens opprimés ou marginaux sous représentés de la société. Intimement convaincu, Kapuściński rajoute : « Seul un homme bon essaie de comprendre les autres, leurs intentions, leur foi, leurs intérêts, leurs difficultés, leurs tragédies. Et immédiatement, dès le premier instant, de s’identifier à leur vie ». Au vue de cette citation, on peut s’interroger sur le danger de cette trop grande connivence à l’égard des sources qui éloignerait la supposée objectivité journalistique. En fin observateur du monde Kapuściński confirme malheureusement que la subjectivité anime chaque discours. Le reporter doit aussi faire  face à une exigence professionnelle de concision, avec des formats de publication relativement courts par rapport à la « richesse » d’informations du terrain. Les dépêches aux « raccourcis si superficiels »  lui imposent une contrainte pleine de « frustration ». Ce calibrage journalistique dérangeant va l’inciter à écrire des livres comme Imperium, ou Le Shah où il pourra d’avantage s’exprimer.

Le bon et le mauvais journalisme

Plus qu’un journaliste à part entière, un reporter doit être capable de manier les mots, la langue, à la perfection. Pour Kapuściński, il est semblable à un homme de lettre développant une prose identique à celle d’un écrivain. En plus de définir ce qu’est pour lui un bon journaliste, Kapuściński distingue aussi le bon du mauvais journalisme : " dans le bon journalisme, outre la description de l'événement, il y a l'explication de ses causes. Dans le mauvais journalisme, il n'y a que la description pure, sans liens ni rapports avec le contexte historique ». Mais n’est ce pas se leurrer et avoir une vision trop utopique ou dépassée du métier de journaliste ? Car aucun exercice journalistique n’est supérieur à un autre. La simple description en image d’un événement peut tout aussi être perspicace qu’un article d’analyse sur le même sujet. C’est l’historien de formation qui parle ici et non le reporter, car il est tout bonnement impossible avec les contraintes de temps, de budget, de format d’aujourd’hui de rappeler sans cesse l’histoire d’un conflit par exemple. Le reporter ne peut plus s’attarder à essayer de démontrer le sens d’un événement au public, la loi du marché en a décidé autrement. Ce n’est pas ce journalisme là qui est le plus rentable et qui subsiste: les médias privilégient aujourd’hui  la superficialité de l’information.

La marchandisation de l’information

Le côté vendable de l’information prime en effet sur son intérêt général. Au lieu d’informer, on amuse, on est passé du côté de l’entertainment, du monde du spectacle. Les pages consacrées aux médias d’aujourd’hui vues par l’œil critique de Kapuściński se révèlent pourtant pleines de perspicacité. Le commerce de l’information est devenu très lucratif suite à la main mise des industriels sur les médias .Ces derniers centralisent de plus en plus les sources d’informations et détournent notre attention des problèmes essentiels en l’orientant vers des problèmes techniques. Il est inquiétant de voir que les médias se cachent derrière la technique pour nous instrumentaliser. Certes, les innovations techniques aident mais elles ne peuvent se substituer au savoir faire journalistique, aux recherches et aux investigations. Loin des clichés d’un reporter totalement libre et indépendant, on apprend que le journaliste dans sa quête de vérité gêne et que des « compromis sont parfois nécessaires ». 

 

Entre censure, liberté, et indépendance

Le moindre morceau de liberté exige ainsi de sa part une lutte permanente. Mais plus gênant, les révélations de Kapuściński peuvent aussi poser un problème d’éthique. D’une part le reporter s’autocensurait lorsqu’il travaillait dans une zone de conflit pour ne pas être expulsé par le régime local. D’autre part, le lecteur apprend que l’agence de presse dans laquelle il travaillait, reposait sur deux canaux : un censuré appelé la version officiel, l’autre avec une série de bulletins non officiels où le journaliste pouvait écrire toute la vérité. Or, n’est ce pas un devoir du journaliste de publier la vérité quelles que soient les conséquences pour lui-même ou pour son employeur? En plus d’être enfermé dans ce dilemme de censure et de liberté d’expression, le reporter pour écrire sur la guerre, doit lui-même devenir « une des victimes du conflit et non un observateur lointain ». Il devient même parfois un soldat au sens littéral du terme embarqué au côté d’une unité de combat. Certes comme le précise Kapuściński, le «  visa donne souvent la possibilité d’explorer un camp et pas celui adverse », mais le journaliste embarqué ou embbeded reporter, n’est alors plus libre et encore moins objectif, d’ailleurs K, le dit bien : « on s’identifie au camp dans lequel on se trouve ».  Le reporter est il alors crédible s’il ne voit les événements que du côté de la victime? problème, sans la présence des journalistes dans les zones de conflit, le monde ne serait pas informé de ce qui se passe. D’ailleurs, le véritable journalisme pour lui, est toujours motivé. Kapuściński ne parle pas directement de pouvoir mais « d’influence » que peuvent avoir le journaliste sur l’opinion publique et les politiques.

Plus qu’une parole de reporter, une parole d’écrivain

Pudique, il  ne donne pas de détails sur sa vie privée. Ce manque d’anecdotes personnelles constitue un des points faibles de l’ouvrage, le lecteur reste sur sa faim. Parlant beaucoup de son activité parallèle d’écrivain, il finit presque par oublier d’offrir aux lecteurs des extraits de ses reportages afin de mieux les éclairer sur la réalité du quotidien d’un reporter. Quoi de mieux, en effet, que de retracer son parcours plutôt atypique, en y apportant des touches vivantes et moins théorique favorisant l’évasion ? Mais ce qui ressort vraiment de cette ouvrage c’est la passion que portent les reporters à leur métier si souvent complexe et constitué d’une « forêt de choses ». Comme le dit si bien Kapuściński, le reportage est un mode de vie, une manière de voir le monde « qu’il n’échangerait contre aucune autre ».

 

 

Romy Luhern

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